NOYYINDOO 2025 : Workshop scientifique à l’UCAD
Le conseil scientifique de l’Observatoire écocitoyen de la zone Sebikotane-Diamnadio-Bargny s’est réuni pour la première fois le 4 février 2025 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pour un workshop interdisciplinaire. Cette journée a offert l’occasion pour les chercheurs et chercheuses de se rencontrer et de prendre connaissance des recherches de leurs collègues. Car depuis trois années maintenant, Yann Philippe Tastevin coordonne les enquêtes et suscite les rencontres, qu’elles soient entre universitaires du Sénégal et de France ou entre artistes et scientifiques. Dans le prolongement du Festival forum Noyyindoo, les représentants des services de l’Etat et des acteurs communautaires ont aussi participé à la journée. Les trois dimensions, sciences, arts et société travaillent ainsi de concert pour documenter et accompagner les changements environnementaux et sociaux en cours dans cette zone en pleine mutation urbaine et industrielle.
Longue table ovale, micros allumés, pupitre pour les présentations, tout était prêt pour accueillir la première rencontre des scientifique de l’Observatoire. Trois jours après le festival-forum Noyyindoo à Sebikotane, qui a vu la fondation de l’Observatoire écocitoyen pour la connaissance des pollutions, les membres de son conseil scientifique se sont retrouvés dès 9h00 dans l’imposante salle du Conseil de la Faculté de Médecine de l’UCAD. Ce workshop interdisciplinaire a fait se rencontrer les regards de disciplines variées qui se croisent peu d’ordinaire : anthropologie, sociologie, littérature, géosciences, sciences de l’atmosphère, sciences de la santé, physique et génie des procédés. Avec la participation, en plus, des services de l’Etat et des artistes-enquêteurs, c’est le caractère radicalement original du conseil scientifique de l’Observatoire qui s’est montré ce jour-là, sous l’œil attentif des acteurs communautaires tenant à être présents pour cette première du Conseil scientifique.
Une première, oui, mais ce workshop fait écho à celui qui s’était centré, il y a trois ans, sur la Mine urbaine dans la région de Dakar. A la Faculté de médecine de l’UCAD, déjà, au moment du lancement du projet AirGeo, scientifiques, services de l’Etat et artistes s’étaient rencontrés dans l’intention de tracer les circulations des métaux : des chaînes de récupération aux recyclages artisanaux et industriels, des recyclages aux contaminations, des contaminations aux pollutions.
Trois ans plus tard, les cercles se sont élargis, des enquêtes ont été réalisées, des résultats s’élaborent et sont en mesure d’être présentés, d’autres enquêtes sont envisagées, dans la continuité des premières. La démarche mérite d’être saluée : elle augure de la pérennité des projets, scientifiques et participatifs, et laisse entrevoir une capitalisation des résultats obtenus au service de la zone concernée tout autant que pour les progrès scientifiques sur la connaissance des pollutions.
Organisée par Yann Philippe Tastevin au sein de l’IRL ESS, cette journée s’inscrit aussi dans le lancement du projet Mine-R – ANR et du projet FeMineTal – TIRIS.
Déroulé
Les enjeux du workshop ont été présentés par Babacar Faye le directeur de l’IRL ESS, qui a salué l’initiative tout en la plaçant dans la continuité des activités du Laboratoire international de recherche Environnement, Santé, Sociétés. Yann Philippe Tastevin est revenu ensuite sur la genèse et la finalité de l’Observatoire écocitoyen pour la connaissance des pollutions, en réaffirmant l’importance d’articuler les approches citoyennes d’un côté, aux études scientifiques interdisciplinaires de l’autre. Pr. Alassane Traoré a complété cette introduction par une présentation de ses travaux sur la mesure des contaminations au plomb à Thiaroye-Diamalaye et Sangalkam, au sein de l’Institut de Technologie Nucléaire Appliquée (ITNA), qu’il dirige à l’UCAD.
La journée a ensuite été rythmée par une alternance de temps de présentations et de discussions entre les participants et participantes [Programme du Workshop]
Pour poser le contexte et les enjeux du territoire concerné, la première série d’interventions a consisté à présenter des enquêtes réalisées sur les territoires de Sebikotane-Diamnadio, en partant du paysage pour aller vers les corps, en passant par les perceptions habitantes et l’air respiré. Julien Hazemann et de Cheikh Tdjiane Ndiaye ont ainsi présenté leur démarche photographique dans le cadre de l’Observatoire Photographique du Paysage (OPP). Ces photos des paysages ont permis de poser le cadre des verbatims tirés des enquêtes sociologiques de Christelle Gramaglia et d’Aliou Ndongo sur les perceptions habitantes des pollutions. Puis Mélina Macouin a exposé les premiers résultats de la campagne de mesure de la qualité de l’air AirGeo avec les capteurs-écorces, confortant et précisant les perceptions des riverains des usines. Pr. Aminata Touré a présenté enfin les études du laboratoire de toxicologie de l’UCAD sur l’impact sanitaire de la contamination au plomb au Sénégal, qui a malheureusement une histoire déjà trop longue du fait des opérations de recyclage des batteries automobiles, que ce soit dans les arrières-cours ou par les industries dédiées.
Les manières de faire société lorsque les pollutions risquent d’altérer aussi les relations ont fait l’objet de la deuxième session de la matinée. Les deux premières présentations ont porté sur l’étude des relations interpersonnelles et de l’action collective. Béatrice Milard a d’abord fait état des éléments théoriques de l’analyse des réseaux en sociologie tandis que Lucile Bauchard les a illustrés, par son étude tout juste démarrée sur les relations sociales au sein de l’Observatoire écocitoyen. Claire Dutrait a ensuite raconté l’enquête qu’elle mène en écopoétique à Sebikotane, visant à faire des arts du récit (enquête, fresque et théâtre-forum) des occasions de faire monde de manière située malgré les pollutions et les paysages altérés. Charline Kopf, enfin, a partagé des éléments de l’enquête ethnographique qu’elle réalise sur la perception des poussières à Bargny dans le cadre de son post-doctorat, en distinguant notamment ce qui altère l’ambiance de ce qui altère l’atmosphère lorsqu’une communauté est exposée aux pollutions.
A l’heure du repas, sous les arcades de la Faculté de médecine, de grandes tables à nappes blanches et rouges avaient été préparées, le buffet était dressé : tieboudien, tiebouyap, salade, jus… grâce à l’organisation de Karine Ginoux, directrice administrative et coordinatrice des programmes de l’IRL, assistée de Sophie Dramé, chacun et chacune a pu se restaurer, et échanger encore. Les représentants de l’Institut écocitoyen de l’Aude, Viviane Thivent et Vincent Dumenil, ont ainsi pu prendre contact avec les membres du conseil scientifique de l’Observatoire, Mamadou Diol a pu retrouvé l’un des collègues de Lettres de l’UCAD, les photographes-enquêteurs ont retrouvé Momar Diongue, avec qui ils ont fixé les points d’observation de l’Œil commun, des acteurs communautaires ont interpelé les représentants des services de l’État… plus informelles, mais non moins importantes, les conversations ont renforcé les liens. En contrebas, l’un des quatre baobabs fondateurs de l’université s’en est fait le témoin immobile, laissant aux palmes des rôniers le soin de se balancer sous la brise fraîche des premiers jours de février. Le temps d’un café, il était l’heure de reprendre le programme de la journée.
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Présentant des résultats sur l’exposition des populations à la pollution de l’air et aux poussières, les interventions du début d’après-midi ont permis de préciser les conditions de vie des habitants de la région de Dakar. Jean-François Léon est revenu sur les résultats issus des mesures de l’exposition aux particules des femmes de la zone de Sebikotane, qu’elles travaillent le long de la Nationale 2 ou aux abords des usines. Jean-Louis Rajot est intervenu sur la composition et la dispersion des poussières au Sahel pour en souligner la forte teneur et la double provenance, anthropique et industrielle. Enfin, les dispositifs de mesures de la qualité de l’air qui sont déployés dans la région de Dakar ont été présentés par Aminata Mbow Diokhane, qui témoignait ainsi du suivi de la situation par les services de l’État.
Puis, pour reprendre la circulation des particules depuis leurs émissions industrielles potentielles, se sont succédé des présentations sur les procédés chimiques dans le recyclage de métaux. Laurent Cassayre a exposé les opérations nécessaires au processus du recyclage du plomb, puis Moïse Kantenga Luongwe ceux de l’acier. L’un et l’autre ont étendu leur description des transformations chimiques de la matière jusqu’aux impacts environnementaux et sanitaires – où l’on voit donc le génie des procédés industriels se mettre au service d’une cause plus large que l’amélioration du recyclage. Confortant cette préoccupation partagée, Mamadou Faye a clos cette session avec des scénarios d’optimisation des procédés chimiques à l’œuvre dans les entreprises de Sebikotane.
La dernière session s’est attachée à présenter des actions à envisager pour faire face aux pollutions dans le cadre de l’Observatoire écocitoyen. Philippe Chamaret a témoigné de son retour d’expérience sur les démarches mises en place au niveau de l’Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer, créé il y a maintenant 10 ans pour répondre à l’inquiétude des habitants de savoir quel air ils respirent dans l’une des plus grandes zones industrielles d’Europe. Isabelle Laffont-Schwob a fait état, ensuite, d’exemples de remédiation phytosanitaire du plomb à partir de ses travaux de recherche dans le Parc National des Calanques en France, qui a accueilli de nombreuses industries jusqu’à la moitié du XXe siècle. Faisant suite à ces recherches mais les transposant à Sebikotane, Moustapha Bassimbé Sagna a exposé le potentiel de bioaccumulation en métaux de toutes les espèce végétales qu’il a inventoriées sur place, laissant entrevoir par là-même des possibilités de stabilisation du plomb aux abords des usines. Enfin, Mayoro Gueye a conclu par le récit du projet N’Doun en revenant sur les premières étapes, scientifiques, artistiques et communautaires, de la régénération de la forêt de Sebikotane.
Le mot de la fin, ou plutôt le mot de la suite, a été prononcé par Yann Philippe Tastevin pour annoncer le double objectif visé maintenant par le Conseil scientifique de l’Observatoire écocitoyen : celui de réaliser une feuille de route, et celui d’organiser une rencontre avec le Conseil citoyen d’ici un an. Le rendez-vous est pris !
Liste des participant·e·s
BA | Aminata | Université Assane Seck de Ziguinchor | |
BAH | Mamadou Oury | Université Amadou Mahtar Mbow de Diamniadio | |
BAUCHARD | Lucile | Doctorante en sociologie | Université Jean Jaurès de Toulouse (LISST-CNRS) |
BAYET | Théophile | Post-doctorant en modélisation | Institut de la Recherche pour le Développement |
CAFFIN | Jean-Hughes | Chercheur en sciences de gestion | CIRAD |
CASSAYRE | Laurent | Chercheur en génie des procédés | Laboratoire de Génie Chimique de Toulouse – CNRS |
CHAMARET | Philippe | Directeur de l’Institut Écocitoyen pour la connaissance des pollution de Fos-sur-Mer | Institut Écocitoyen pour la connaissance des pollution de Fos-sur-Mer |
DIA | Ibrahima | Professeur de sociologie / Chef du département de sociologie | Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
DIAW | Mor | Professeur en physiologie | IRL ESS – Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
DIOKHANE | Aminata Mbow | Directrice du Centre de Gestion de la qualité de l’air | Ministère de l’environnement et de la transition énergétique |
DIOL | Mamadou | Metteur en scène | Troupe Kër Gou Mag de Sebikotane |
DIONGUE | Momar | Enseignant-chercheur en géographie | Labogéhu – Faculté de Lettres et Sciences Humaines – Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
DIOP | Ndeye Khady | Artiste-comédienne | Troupe Kër Gou Mag de Sebikotane |
DUMENIL | Vincent | Institut Écocitoyen de santé environnementale de l’Aude | Institut Écocitoyen de santé environnementale de l’Aude |
DUTRAIT | Claire | Autrice, doctorante en recherche-création | CIELAM, Aix-Marseille Université |
FAYE | Mamadou | Enseignant-Chercheur en génie des procédés | École Supérieur Polytechnique – Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
FAYE | Babacar | Professeur en parasitologie / Directeur de la recherche de l’UCAD | IRL ESS – Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
GINOUX | Karine | Directrice administrative et financière du Laboratoire Environnement, Santé, Sociétés | IRL ESS (CNRS-UCAD) |
GRAMAGLIA | Christelle | Chercheuse en sociologie de l’environnement | G-EAU – INRAE de Montpellier |
GUEYE | Fatou Wade | Doctorante en médecine | Faculté de médecine – Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
GUEYE | Mayoro | Co-enquêteur | IRL ESS – (CNRS-UCAD) |
GUEYE | Baye | Artiste-comédien | Troupe Kër Gou Mag de Sebikotane |
HANE | Fatoumata | Enseignante-chercheur en anthropologie | IRL ESS – Université Assane Seck de Ziguinchor |
HAZEMANN | Julien | Photographe | Observatoire écocitoyen – L’Œil Commun |
KANTENGA LUONGWE | Moïse | Doctorant en génie des procédés | Université Paul Sabatier de Toulouse (GET, LGC – CNRS) |
KOPF | Charline | Post-doctorante en anthropologie | Université d’Oslo |
LAFFONT-SCHWOB | Isabelle | Enseignante-chercheur en écologie | Aix-Marseille Université |
LEON | Jean-François | Chercheur en aérologie | Laboratoire d’Aérologie de Toulouse – CNRS |
MACOUIN | Mélina | Chercheuse en géologie | Laboratoire de Géosciences de Toulouse – CNRS |
MILARD | Béatrice | Professeure de sociologie | Université Jean-Jaurès de Toulouse (LISST-CNRS) |
NDIAYE | Adiara Fall | Professeur de lycée en Sciences et vie de la terre | Conseil citoyen de l’Observatoire |
NDIAYE | Cheikh Tdjiane | Photographe – Médiateur | Observatoire écocitoyen – L’Œil Commun |
NDIAYE | Serigne | Université Cheikh Anta Diop de Dakar | |
NDONGO | Aliou | Masterant en sociologie | Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
RAJOT | Jean-Louis | Chercheur en pédologie | Institut de la Recherche pour le Développement |
SAGNA | Moustapha Bassimbé | Enseignant-chercheur en écologie | IRL ESS – Faculté de sciences et technologie – Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
SENE | Elizabeth | Masterante en sociologie | Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
SY | Djibril | Artiste-comédien | Troupe Kër Gou Mag de Sebikotane |
TASTEVIN | Yann Philippe | Chercheur en anthropologie | IRL ESS (CNRS-UCAD) |
THIVENT | Viviane | Institut Écocitoyen de santé environnementale de l’Aude | Institut Ecocitoyen de santé environnementale de l’Aude |
TOURE | Aminata | Professeur en toxicologie | Laboratoire de Toxicologie – Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
TRAORE | Amadou | Professeur de physique / Directeur de l’ITNA | Faculté de sciences et technologie – Institut de Technologie Nucléaire Appliquée – Université Cheikh Anta Diop de Dakar |
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
La rédaction (25 mars 2025). NOYYINDOO 2025 : Workshop scientifique à l’UCAD. AirGeo : l'air, la terre et des écorces. Consulté le 20 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13kgx